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Du mythe à la réalité : le châtiment d’Ixion

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Les châtiments sont des éléments omniprésents dans les mythes grecs, soit qu’ils articulent le récit, soit qu’ils le ponctuent. Mais il est rare de trouver une transposition fidèle d’un châtiment mythique dans le quotidien ; les peines prononcées à l’encontre de Sisyphe, de Prométhée ou des Danaïdes appartiennent uniquement au registre mythologique. Toutefois, il existe une exception dans le cas du mythe d’Ixion : le héros subit le supplice de la roue, châtiment dont des témoignages archéologiques ont été conservés.

Le témoignage des mythes

La Deuxième Pythique offre le plus ancien témoignage du mythe. Ixion, invité à la table de Zeus, tente de séduire Héra. Le dieu donne l’apparence de la déesse à une nuée avec laquelle s’accouple le héros. Pour le punir de cet acte, Zeus condamne Ixion à un supplice éternel dans le Tartare où « le maître des dieux l’attacha à cette roue… Ses membres y sont à jamais serrés par d’invincibles nœuds, et ses tortures, hélas trop célèbres, attestent à la terre la vengeance des Immortels »1.

Le témoignage de l’archéologie

L’archéologie, principalement les vases, donne à voir ce châtiment. Sur un vase conservé au British Muséum, Arès et Hermès tiennent Ixion qui attend d’être attaché à la roue qu’amène Athéna.

Ixion
Ref. Beazley archives Vase Number 212127 Fabric ATHENIAN Technique RED-FIGURE Shape Record KANTHAROS Provenance ITALY, NOLA Date Range 475-425 Attributed To AMPHITRITE P by BEAZLEY Collection 1: London, British Museum: E155; London, British Museum: 1865.1-3.23

La présence de ces trois divinités illustre la gravité de la faute. Les quelques représentations attiques du supplice d’Ixion figurent toutes une roue de petite dimension sur laquelle Ixion est attaché par les genoux, les avant-bras, le cou et la taille. Le corps est recroquevillé pour s’adapter aux dimensions de la roue. Les rares représentations attiques montrent que la roue du supplice semble n’avoir rien de particulier, bien au contraire, il s’agit d’une banale roue de char.

Dans l’imagerie italienne, la roue est de dimension beaucoup plus grande et présente parfois une structure plus complexe. À Pompéi, dans la maison des Vettii, Ixion apparaît attaché sur le ventre, ce qui suggère que la roue, dans ce cas est un support pour fouetter le corps ou pour autre supplice de même nature.

Ixion - Pompei - Casa dei Vettii
Ixion – Pompei – Casa dei Vettii

C’est donc l’image d’un corps étiré qui est donné cette fois. Il apparait clairement qu’il n’existe pas une représentation stéréotypée de ce supplice, ni même de l’objet qui lui est attaché.

Un supplice bien réel

Quelques témoignages judiciaires prouvent que le supplice de la roue a bien existé. Antiphon et Andocide nous révèlent que le supplice de la roue est une torture et non une forme d’exécution. C’est également ce que laisse entendre Aristophane (Lysistrata, 845) lorsqu’il compare la tétanie que provoque le supplice à l’érection masculine. Toutefois rien ne prouve que la roue ne soit pas le simple support d’autres tortures : telles que le fouet, le feu ou le fer, comme cela est évoqué dans un passage du roman Leucippé et Clitophon :

« Prépare les supplices ; apporte la roue : voici mes bras, distends-les ; apporte aussi les fouets : voici mon dos, frappe-le. Prépare le feu ; voici mon corps, brûle-le. Apporte aussi le fer ; voici mon cou, coupe-le »2.

Ce discours édifiant est tenue par une femme Leucippé, ce qui amène à nous interroger sur les victimes du supplice de la roue. De par sa nature même, ce supplice déforme et mutile les corps, ce qui ne correspond en rien aux conceptions attachées au corps du citoyen. Il s’agit donc d’un châtiment réservé au non citoyen ou à celui en passe de perdre son statut au sein de la communauté civique. Aussi bien dans le monde grec que dans le monde romain, l’apparence physique d’un individu est le reflet de sa place dans la communauté. Les corps sont ainsi socialement identifiés et hiérarchisés ; le corps de l’esclave diffère de celui du maître qui lui-même diffère de celui des dieux. Mais pour autant ces corps ne sont pas figés, puisqu’ils peuvent être façonnés (l’athlète) et éduqués (l’enfant). La maîtrise du corps et de ses expressions est une croyance forte de la culture gréco-romaine. La mutilation du corps par le supplice entraine donc un changement de statut ou renvoie à statut inférieur.

—————————–

1-Pindare, Pythiques, II, 20

2-Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, VI, 21

Pour citer cet article: Thomas Reyser, "Du mythe à la réalité : le châtiment d’Ixion," in Deucalion et Noé, 28/01/2017, https://reyser.hypotheses.org/230.

Thomas Reyser

enseignant Hist-Géo, Docteur en histoire spécialisé dans les religions du monde grec. Doctor, Teacher, Ancient Greek History.

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